Dialoguer, échanger, expliquer … et s’expliquer.

Editorial de Ghaleb Bencheikh,

La responsabilité des adeptes des grandes traditions religieuses est importante et cruciale dans l’avènement d’une culture de paix et de justice. Ils ne peuvent pas se résoudre à ce que le chaos et la dévastation qu’ils voient et connaissent soient la règle et l’ordre juste et paisible, l’exception ou pire ils ne seront qu’un idéal imaginaire inatteignable.

Certes, en ces temps plus qu’incertains, le monde paraît structurellement instable et insécure. Ce n’est pas nouveau, mais cela semble être plus grave que les grandes crises précédentes.

La seule issue qui reste aux hommes et aux femmes de bonne volonté est de dialoguer, échanger, expliquer et s’expliquer. Puissent-ils ainsi amener un peu de stabilité, un peu d’aménité par-delà leurs orientations métaphysiques et leurs options spirituelles.

Parce que le dialogue permet de créer des liens avec la longue complicité du temps. Il favorise les relations sociales et consolide l’amitié civique dans une société sécularisée et dans un Etat laïque. Il rehausse le sentiment de fraternité, le troisième volet de notre triptyque républicain. Autant les deux premières valeurs de la devise républicaine relèvent du « légal », autant la troisième ne pourrait être opposable sur un plan juridique alors qu’elle est à la fois fondement et conséquence des deux premières. Auquel cas, ce sont les échanges qui permettent à l’être humain effarouché par une altérité menaçante de pouvoir l’apprivoiser et y déceler les richesses d’une altérité apaisée et agréée.

Ceci n’est pas un discours lénifiant relevant d’une quelconque naïveté obtuse mais c’est un choix délibéré, mûrement réfléchi au moment où d’aucuns soutiennent mordicus que l’espèce humaine est condamnée à subir la violence qui lui est intrinsèque. Qu’elle soit un moyen d’expression ou un moyen de survie, il est vrai qu’elle une caractéristique des hommes, aggravée par le fanatisme et une compréhension exclusive des notions de vérité et de salut, dans ce monde-ci et dans l’autre.

Nous avons toujours reconnu que jamais l’homme n’a été aussi bafoué dans sa dignité et ratatiné dans son être que par et dans des traditions religieuses maintenant et à travers l’histoire, alors que ces traditions prônent toutes l’amour, la bonté et la miséricorde. Elles promeuvent toutes, les valeurs d’entraide et de solidarité. C’est ce paradoxe qu’il nous incombe de rompre. C’est une exigence morale et une revendication de cohérence de vie.

Nous le ferons car nous croyons aussi que le rapport de l’homme avec le sacré et la reconnaissance par l’être humain d’un principe supérieur ou d’une transcendance personnelle aideraient dans une démarche sincère d’humilité à se laisser convertir, à ouvrir le cœur et l’offrir afin de se découvrir et d’accueillir. Et cela n’est que conformité à l’enseignement fondamental des spiritualités vivantes même si une certaine sécularisation à marche forcée mène à un désenchantement du monde et à un assèchement de la sève vivifiante de nos sociétés. Aussi ne restera-t-il que le fondamentalisme comme réaction à cet état de fait. C’est assurément la mauvaise réponse à la perte de sens. Or en matière de sens, la religion demeure une référence. Alors, autant l’appréhender avec l’intelligence hybride du cœur et de l’esprit.

Le dialogue révèlera le caractère des personnages, à la fois dans ce qui est exprimé et dans la manière dont cela est exprimé.

Les fidèles des grandes traditions religieuses et les hommes et les femmes de foi peuvent et doivent être en lien fraternel, ne jamais être dans la surchauffe ni être la cause d’exacerbation des haines et des polémiques qui dégénèrent en conflits effroyables. Leur responsabilité éthique et spirituelle les engage à porter ensemble un message de paix, de justice et de concorde.

Il se trouve que sous la voûte commune de la laïcité à laquelle nous tenons, le nombre d’associations interreligieuses est passé, en l’espace de trois décennies, de quelques dizaines à plusieurs centaines. Ainsi la mouvance du dialogue interreligieux a-t-elle connu une prise en compte de la pluralité religieuse par les diverses communautés au sein de la communauté nationale, avec la mise sur pied de commissions portant sur les relations avec les autres religions. Nous ne pouvons que nous en réjouir tout en restant vigilants quant à la formation et à l’éducation de la jeunesse à une culture de paix fondée sur la justice et le droit comme boussole. Ce sont là l’œuvre et la vocation de la Conférence mondiale des religions pour la paix. Elle s’évertue dans notre pays à réunir ces associations et d’être la catalyse de leurs actions bénéfiques pour la fondation d’une société juste, fraternelle et solidaire pour tous.

Ghaleb Bencheikh, le 26 février 2025.

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