Hommes et religions

Article publié avec l’autorisation de M. le Directeur de Peuples du Monde. Fin 2014

« Hommes et religions. »
par Frère Gwenolé Jeusset, ofm, à Istambul.

Du 7 au 9 septembre 2014, la 28è rencontre « Hommes et Religions » organisée par la communauté Sant’Egidio de Rome se tenait à Anvers en Belgique flamande. Parmi trois cents invités de toutes religions et des milliers d’autres personnes, membres de la communauté, fidèles de l’Eglise locale et habitants du deuxième port d’Europe, nous, deux franciscains d’Istanbul, avons passé deux jours dans la certitude que l’amour de Dieu et des hommes l’emportera sur les forces de haine. Cette année « La paix est l’avenir » était le titre courageux à l’heure où des mouvements sans foi ni loi répandent la terreur sous le couvert d’une religion.

Traditionnellement, deux célébrations interreligieuses encadrent une trentaine de réunions en divers points de la ville durant lesquelles des membres de plusieurs religions parlent dix minutes chacun avant un débat avec l’assemblée.

La cérémonie d’ouverture permit à Andrea Ricardi, fondateur de la Communauté de mentionner entre autres la présence du Patriarche Sako de l’Iraq, homme tout simple que je n’ai pu approcher mais qui m’impressionne depuis des mois par son refus de la haine et son courage à tenir. Puis des orateurs politiques ou religieux se succédèrent tels Mr Van Rampuy, le président sortant du Conseil européen, une députée irakienne yezidi, le grand mufti d’Egypte et l’évêque d’Anvers

Les tables rondes : Chacune prenant une demi-journée, on doit se contenter de participer seulement à trois, ce qui nécessite un choix difficile. Pour moi, la première portait sur le thème : Religions et violence. Sujet à ce point brûlant que la salle fut trop petite. Les organisateurs obligèrent bien des gens à se retirer puisqu’il était interdit d’encombrer les escaliers pour des raisons de sécurité. Les pressions de mes hôtes, ma vue, mes jambes, mon âge ne furent pas de trop pour accepter un siège et diminuer les remords d’accepter la place de celui qui se retira pour me la laisser.
Devant nous, un panel impressionnant : mentionnons le rabbin Skorka, ami du Pape, le ministre des minorités du Pakistan qui a succédé à son frère assassiné, l’imam principal de Lahore et le journaliste Domenico Cirico, deux fois pris en otage et qui réfléchit sur le mal intégral depuis qu’il a observé de trop près des hommes se reprenant à frapper leurs prisonniers dès qu’ils ont terminé leur prière au Dieu miséricordieux.
La seconde était celle où je devais parler. Personne ne me disputa la place à la tribune ! Notre thème était : « Sans dialogue, le monde étouffe ». Si le rabbin Salinger inscrit ne put venir, il y avait une journaliste musulmane de la station Al Jazeera du Qatar, une vieille femme hindoue qui a remplacé son père à la tête d’une organisation non-violente, le responsable japonais bouddhiste de « Religions pour la paix » et Roberto Toscano, ambassadeur italien. Chacun parlait sous la houlette du Cardinal Sepe de Naples. Dans un monde qui crève du manque de fraternité, « L’espérance fait partie de ma joie de vivre » était l’énoncé de mon propos.
Pour la troisième, une table ronde sur la Prière, j’avais fait mon choix d’abord à cause du thème mais aussi parce que je voulais y rejoindre le Grand Rabin de Turquie qui la veille m’avait embrassé en public comme deux vieux amis qui se retrouvent loin de leur terre. Hélas le texte hébreu me dit-on surprit l’interprète vers le français qui n’avait pas prévu un cours accéléré pour répondre à la demande et il ne devait pas être le seul !!! Le lendemain le grand rabbin réussit à me procurer une version anglaise.

Finale de la rencontre
Les membres des autres religions se retirèrent pour prier en des lieux séparés tandis que les chrétiens se trouvaient réunis dans la cathédrale du lieu. Puis à l’heure prévue, des processions joyeuses sous les applaudissements, telle des rivières vers le fleuve, se glissèrent en une à l’entrée de la place choisie pour la cérémonie de clôture.
Les habits de toutes couleurs et les coupes bien diverses, la musique et une sonorisation remarquables ajoutaient à la beauté du lieu et à l’émotion palpable. La reine, épouse du Roi des Belges, fut familièrement applaudie tandis qu’elle se plaçait comme la foule au pied d’une grande tribune où se situaient d’un côté les représentants chrétiens de toutes dénominations, de l’autre les représentants des autres religions.
Des témoins de souffrances indicibles ou de la paix retrouvée furent écoutés dans un silence…religieux. Ainsi une tzigane allemande emmenée dans un camp de concentration où elle perdit ses parents gazés et sa sœur jumelle, victime des savants nazis cherchant sur les deux bébés comment on peut changer la couleur des yeux. Aujourd’hui cette femme veut transmettre le souci de la paix pour que ne triomphe plus, même un moment, l’inhumaine barbarie.
Un leader des rebelles musulmans du sud des Philippines vint parler de la paix (plus ou moins) revenue. Il y a trente ans alors que je visitais des franciscains de cette région, on prenait des précautions pour empêcher mon éventuel enlèvement ; ce fut l’un des frères qui un an plus tard fut enlevé soixante-sept jours par ces membres du Front de libération.

La conclusion est, chaque année, haute en couleurs : deux par deux le plus souvent, celles et ceux qui ont participé aux tables rondes reçoivent un grand cierge et vont l’allumer et le joindre aux autres sur deux grands chandeliers, au son d’une musique porteuse d’espérance et les cris de joie de la foule. Je fus le dernier des chrétiens, aidé par deux frères franciscains conventuels venus d’Assise et de Rome. En leur nom et au mien je signais le traditionnel appel à la paix.
Sans hélas pouvoir prendre le repas final et rencontrer plus facilement celles et ceux qu’on voudrait, il fallut, revivifiés comme artisans de paix, sauter dans le train de Bruxelles afin de préparer pour le lendemain le vol de retour à Istanbul.
Fr. Gwenolé, ofm

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