Déclaration de résistance et d’insoumission face à la barbarie. Janvier 2015.

Editorial de Ghaleb Bencheikh,  
Président de Religions pour la Paix-France ( CMRP )

le 10 janvier 2015

Encore une fois, l’ignominie et le terrorisme abject ont frappé au cœur de Paris et nous ne pouvons pas nous contenter de les condamner et de les dénoncer. D’ailleurs, qui dit dénoncer implique qu’il faut annoncer : clamer haut et fort qu’aucune raison légitime soit-elle ne saurait justifier le massacre des innocents et aucune cause si noble soit-elle ne prépose la terreur aveugle. Et, il se trouve que des individus fanatisés affiliés à des groupes islamistes extrémistes ont décidé de déclencher une conflagration généralisée s’étalant sur un arc allant depuis le nord Nigéria jusqu’à l’Île de Jolo. Et l’élément islamique y est impliqué. Cette guerre est menée au nom d’une certaine idée de l’Islam. L’incendie ne semble pas fixé, bien au contraire, ses flammes voudraient nous atteindre en Europe et nous brûler chez nous en France.

Cette guerre réclame de nous tous qui que nous soyons, hommes et femmes de bonne volonté, mais surtout de nous autres musulmans de l’éteindre. Il est de notre responsabilité d’agir et de nous opposer à tout ce qui l’attise et l’entretient. C’est une déclaration de résistance et d’insoumission face à la barbarie. C’est aussi notre attachement viscéral à la vie, à la paix et à la liberté. Après l’affliction et la torpeur, il est temps de reconnaître, dans la froideur d’esprit et la lucidité, les fêlures graves d’un discours religieux intolérant et les manquements à l’éthique de l’altérité confessionnelle qui perdurent depuis des lustres dans des communautés musulmanes ignares, déstructurées et crispées sur elles-mêmes.
En effet, le drame réside dans cette partie belligène du patrimoine religieux islamique – conforme à une vision du monde dépassée propre à un temps éculé – qui n’a pas été déminéralisée ni dévitalisée. Il est temps de la déclarer anti-humaniste.
Au-delà des simples réformettes, par-delà le toilettage, plus qu’un aggiornamento, qui s’apparentent tous à une cautérisation d’une jambe en bois, c’est à une refondation de la pensée théologique islamique qu’il faut en appeler, je ne cesse pour ma part, de le requérir et je m’étais égosillé à le dire et à le faire savoir. J’en témoigne devant Dieu et devant les hommes. En finir avec la « raison religieuse » et la « pensée magique », se soustraire à l’argument d’autorité, déplacer les préoccupations de l’assise de la croyance vers les problématiques de l’enracinement de la connaissance, relève d’une nécessité impérieuse et d’un besoin vital. Les chantiers sont titanesques et il faut les entreprendre : le pluralisme, la désintrication de la politique d’avec la religion, la citoyenneté in abstracto de l’appartenance confessionnelle, l’égalité foncière entre les êtres, la liberté de conscience, l’Etat de droit sont des réponses essentielles et des antidotes primordiaux exigés.
Ce n’est plus suffisant de clamer que l’islam c’est la paix. C’est bien une compréhension obscurantiste, passéiste et rétrograde d’une partie du patrimoine islamique calcifié qu’il faut dirimer. Les glaciations idéologiques nous ont amenés à cette tragédie généralisée. Nous devons les dégeler. La responsabilité nous commande de reconnaître l’abdication de la raison et la démission de l’esprit dans le ressassement de l’antienne islamiste justifiée par une lecture biaisée d’une construction humaine sacralisée et garantie par « le divin ». Il est temps de sortir des enfermements doctrinaux et s’affranchir des clôtures dogmatiques. L’historicité et l’inapplicabilité d’un certain nombre de textes du corpus religieux islamique sont d’évidence, une réalité objective. Nous l’affirmons. Et nous en tirons les conséquences.
Un corpus polémologique virulent a existé dans la tradition islamique classique. Il est le véritable et le seul référentiel des groupes djihadistes. Il doit être totalement proscrit. Nous avons la responsabilité et le devoir de combattre la réactivation de tous les processus qui l’installent. Il incombe aux dignitaires religieux, aux imams, aux muphtis et aux théologiens de le décréter plus que son inconvenance, mais le reconnaître comme attentatoire à la dignité humaine et contraire à l’enseignement d’amour, de bonté et de miséricorde que recèle aussi et surtout la tradition religieuse islamique. Renouer surtout avec l’humanisme d’expression arabe qui a prévalu en contextes islamiques à travers l’histoire et le conjuguer avec toutes les spiritualités et les conceptions philosophiques éclairées du progrès et de la civilisation. Il n’est pas normal que cet humanisme soit oblitéré, effacé des mémoires et totalement occulté.
Savoir endiguer la déferlante extrémiste, ravaler le délabrement moral, guérir du malaise existentiel, en finir avec l’indigence intellectuelle et la déshérence culturelle. Telle est la vision programmatique pour sortir de l’ornière dans laquelle nous nous débattons. L’extrémisme est le culte sans la culture ; le fondamentalisme est la croyance sans la connaissance ; l’intégrisme est la religiosité sans la spiritualité.
L’éducation, l’instruction, l’acquisition du savoir, la science et la connaissance sont les maîtres-mots combinés à la culture et l’ouverture sur le monde avec l’amour du beau et des valeurs esthétiques pour libérer l’esprit de sa prison.
Gageons qu’après cette terrible tragédie, il y aura un véritable éveil des consciences afin de conjurer les ombres maléfiques de l’intolérance et du rejet pour construire ensemble une nation solidaire et fraternelle avec un engagement commun au service de la justice et de la paix. Notre modèle de vie dans une société ouverte, libre et démocratique respectueuse des options métaphysiques et garante des orientations spirituelles de ses membres, pourra être transmis ailleurs et devra inspirer davantage les sociétés majoritairement musulmanes.

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