Le Féminin dans la Bible
par Pierre Hoffmann
Rappel : vous pouvez afficher la version imprimable de ce texte en y accédant par le thème (Vivre ensemble) à droite de la page d’accueil.
Dans le cadre de l’exposition de Rueil-malmaison, « La Bible au féminin », traiter du « féminin dans la Bible » ne se limite pas à un simple renversement de mots : il s’agit non pas d’énumérer toutes les femmes qui apparaissent dans l’histoire biblique, une centaine, ni s’attarder sur l’une ou l’autre comme vous l’avez déjà fait, mais de s’interroger sur le rôle du féminin dans la lecture biblique.
Il faudra en premier lieu parler du genre grammatical appelé féminin, mais qui peut varier selon la langue dans laquelle nous lisons la Bible et selon celles dans lesquelles elle a été composée. Nous aurons à faire la différence entre le féminin considéré comme genre grammatical et le féminin qui désigne un être effectivement sexué.
Dans la Bible, Dieu est présenté selon le genre masculin, mais il y a aussi quelques images féminines de Dieu : quelles sont-elles ?
Le genre féminin utilisé dans la langue a nécessairement des résonances symboliques que l’on peut entendre et comprendre de manière différente selon les codes symboliques culturels ; mais il y a peut-être telle ou telle constance à souligner.
Le féminin, un genre grammatical qui n’est pas toujours lié à un être sexué féminin :
Lisant la Bible en français, comme tout autre œuvre littéraire nous ne rencontrons que deux genres grammaticaux : le masculin et le féminin. Certains mots ne s’utilisent qu’au masculin et d’autres qu’au féminin. Des mots peuvent avoir une forme masculine et une autre forme pour le féminin (un bassin, une bassine). Parfois, un même mot utilisé au masculin change de sens quand il est utilisé au féminin (le poêle et la poêle). Le masculin et le féminin renvoient ainsi à des réalités différentes.
Le genre masculin ne correspond pas toujours avec une réalité sexuée manifestement mâle, et inversement le genre féminin ne correspond pas toujours avec une réalité manifestement femelle : on a longtemps dit une sentinelle pour désigner quelqu’un qui devait être un homme ; même pour un mâle, ce sera toujours une girafe.
Le genre n’est donc pas nécessairement lié au sexe. Il faut distinguer le genre et le sexe et ne pas avoir une approche fondamentaliste du genre qui voudrait que celui-ci exprime de manière univoque le sexe. Pourtant, le fonctionnement symbolique du langage peut faire que le genre renvoie inconsciemment à une valeur attribuée au sexe : pourquoi un rat et une souris ? parce que l’un serait plus imposant que l’autre ? On comprendrait alors les revendications féministes si la girafe n’était là pour dominer tous les animaux… à moins que son allure évoque une pimbêche, mot qui ne se trouve qu’au féminin : on peut se demander pourquoi ?
Les langues ont aussi leurs particularités : en français lune est féminin et soleil masculin, alors qu’en allemand c’est le contraire, la soleil et le lune… La confusion entre genre et sexe est accentuée quand la langue n’a pas le genre « neutre ». En fait, en français, le masculin tient grammaticalement la fonction du neutre même si, symboliquement, ce n’est pas satisfaisant : ainsi l’expression « les hommes » désigne l’humanité au-delà de la différence sexuelle et la moitié de cette humanité, l’autre moitié se sentant frustrée.
Le Nouveau Testament a été écrit en grec qui possède les trois genres : masculin, féminin et neutre. Par contre, les langues sémitiques, dont l’hébreu, ne connaissent pas le neutre. Ainsi le mot esprit, masculin en français (comme en latin) est neutre en grec pneuma, et féminin en hébreu ruah. Les résonances symboliques seront donc différentes.
Les chrétiens qui parlent une langue sémitique, les syriaques par exemple, parlent du Dieu Trinité avec deux mots masculins, Père, Fils et un féminin « une » Esprit. (on pourrait en français dire une Respiration) : le genre féminin est ainsi introduit en Dieu. Ce qui peut expliquer ces images par lesquelles commence l’Ode de Salomon n° 19, hymne syriaque : « Une coupe de lait me fut offerte…l’allaitant ce fut le Père et c’est l’Esprit (féminin) de sainteté qui s’y allaita… ses seins étaient pleins… ». Dieu n’est ni mâle ni femelle, mais nos langues latines accentuent la masculinité de Dieu alors que, dans la tradition chrétienne d’Orient, certaines langues y introduisent le genre féminin.
Aborder la Bible demande toujours une lecture à distance, une lecture critique, en particulier en ce qui concerne l’usage du féminin dans l’écriture biblique : quelle est la langue de référence ? comment comprendre le genre grammatical utilisé ? quelles sont les résonances symboliques induites par l’utilisation grammaticale de ce genre ?
Quoi qu’il en soit, en hébreu, en grec et en bien d’autres langues, Dieu est lu majoritairement au masculin : il y a cependant quelques images bibliques à évocations féminines.
Images féminines de Dieu :
Dieu, Père et Mère
Certains pensent qu’appeler Dieu « Père » est une spécificité chrétienne : il n’en est rien. Une prière litanique juive, durant les « dix jours de repentance », commence chaque phrase par ces mots « Notre Père, notre Roi… ». En Deutéronome 8,5 on lit : « Dieu te corrige comme un père corrige son enfant », ou Proverbe 3,12 : « Dieu reprend celui qu’il aime comme un père reprend le fils qu’il chérit ».
Symétriquement nous lisons :
Isaïe 49,15 : « Une femme oublie-t-elle son enfant? est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi je ne t’oublierai pas ».
Isaïe 66,13 : « Comme celui que sa mère console, moi je vous consolerai ».
Siracide 4,10 : « Tu seras comme un fils du Très-Haut qui t’aimera plus que ne fait ta mère ».
Les « entrailles »
Ce terme, bien connu des catholiques dans le « Je vous salue Marie », reste profondément mystérieux à l’enfant avant qu’il ne puisse en comprendre le sens (un botaniste célèbre avouait, qu’enfant, il pensait que c’était un arbre, « le fruit de vosentrailles », peut-être celui du paradis…).
La racine du mot en hébreu (rahamim, qui trouve son écho dans la fatiha coranique) comme en grec (splagchna), se développe dans un verbe qui signifie l’amour maternel :
Psaume 103,13 : « Comme un père aime son fils, ainsi Dieu aime celui qui le craint »,
Isaïe 54,10 : « Mon amour (autre mot : hesed) ne s’écartera pas de toi, dit Dieu qui t’aime »
Osée 1,7 : « J’aimerai la maison de Juda ».
De même dans le Nouveau Testament en grec :
Luc 15,20 : « Le père (de l’enfant prodigue) fut pris de pitié »
Matthieu 9,36 : « Jésus, à la vue de ces foules, fut pris de pitié »
On pourrait alors traduire : fut pris aux tripes…
L’Esprit de Dieu est du genre féminin en sémitique. Ainsi, dans la traduction araméenne (appelée targum) nous lisons littéralement en Genèse 1,2 : « un Esprit d’entrailles (comprenons: un Esprit d’amour-de-mère) soufflait sur les eaux ».
Le Verbe ou la Parole :
On connaît les hésitations pour traduire Jean 1,1. Logos est du genre masculin en grec, ce qui permet de traduire « le Verbe », genre qui convient mieux pour le Christ. Mais il est vrai que l’expression « la Parole » est mieux comprise par le français moyen. Notons que dans le syriaque, le mot « melto’ » a une désinence féminine et est des deux genres, masculin et féminin…
Faut-il voir en Matthieu 23,37 une évocation d’amour maternel pour Jésus : « Comme une poule veut rassembler ses poussins » ?
Justification scripturaire de ces expressions à connotations féminines :
Genèse 1,26-27 permet ces images. Dieu crée l’Homme (en hébreu Adam) à son image et comme à sa ressemblance, mâle et femelle il les créa.
Le masculin n’est pas, à lui seul, image de Dieu ; il ne l’est pas plus que le féminin. Dieu est en dehors du masculin et du féminin, même si la grammaire biblique lui attribue de manière constante le genre masculin. Si, dans la Bible, le féminin convient aussi à Dieu, c’est sans aucune objection scripturaire ou théologique. Mais quelle image féminine ?
Le masculin et le féminin dans la Bible pour exprimer une relation d’amour entre Dieu et l’Humanité.
L’image féminine de Dieu acceptée dans la Bible est celle de la mère, jamais celle de la fille ou de l’épouse. La symbolique féminine de l’épouse est supportée par la réalité de la communauté humaine. C’est même la dernière image de la Bible chrétienne, dans l’Apocalypse :
Apo 21,17 : « l’Esprit et l’épouse disent (à l’époux qu’est le Christ) Viens ! ».
Pour apprécier cette image, il faut alors se reporter aux traditions nuptiales de l’Orient : de même que l’époux a un ami qui l’accompagne à la noce (cf. Jean 3,29), ainsi l’épouse a une amie qui l’accompagne ; nous parlerions de « témoins ». Dans la version française, il est difficile de comprendre qu’un masculin (l’Esprit) accompagne une femme épouse à rejoindre l’époux. L’image passe mieux en grec (esprit est du genre neutre), et mieux encore en langues sémitiques où l’Esprit est du genre féminin : l’amie-Esprit et l’Épouse disent Viens !
C’est une constance de la symbolique biblique (présentes aussi dans d’autres religions proches) que le féminin-épouse exprime l’Alliance, ancienne et nouvelle, entre Dieu-époux et la communauté des hommes (hommes et femmes) :
c’est la lecture traditionnelle du Cantique des Cantiques.
c’est l’histoire d’Osée, où le culte envers les autres dieux (les ba’alim, c’est-à-dire les maris) est considéré comme un adultère.
Ézéchiel 16 : histoire parabolique de Jérusalem au temps des amours, et 23 : histoire de Jérusalem et de Samarie avec les deux sœurs Oholiba et Ohola
Isaïe 54,5 : « Ton Créateur est ton Époux. Comme une femme délaissée Dieu t’a appelée »,
Isaïe 62,5 : « Comme un jeune homme épouse une vierge, ton bâtisseur d’épousera ».
Matthieu 9,15 : « Viendront des jours où l’époux leur sera enlevé »,
Jean 3,29 : « Qui a l’époux est l’épouse ».
Voir aussi Éphésiens 5,21-33 ou 8 Corinthiens 11,2 : « Je vous ai fiancés à un époux unique ».
C’est principalement dans cette symbolique d’Alliance et d’Amour que le féminin dans la Bible se déploie. Même les hommes, sexuellement masculins, sont représentés par la femme, par le genre féminin, dans cette symbolique. Devraient-ils s’en offusquer ?
Des récits évangéliques pourraient être interprétés avec cette clé : quand une femme apparaît, ne représente-t-elle pas plus qu’elle-même ? La femme Samaritaine, en Jean 4, ne symbolise-t-elle pas toute la communauté de Samarie (relire ci-dessus Ézéchiel) qui sera la première, après celle de Jérusalem, à accueillir le Christ comme l’authentique époux, enfin, le septième (voir Actes 1,8 et 8,4-8) ! Et la syrophénicienne, païenne tenue par l’esprit du Mal, femme qui ne peut enfanter qu’une future femme (sa fille) qu’il faudra libérer (Marc 7,24-30) : ne peut-on y voir toute la communauté païenne, non juive, appelée au Salut et à recevoir, elle-aussi, le pain de la Vie (Marc 7,31 à 8,21) ? Et la belle-mère de Simon-Pierre, la mère de sa femme, qui peut-elle être ? Quant à Marie, tout homme se retrouve en elle.
Des femmes ont leur place dans l’histoire sainte : l’exposition « la Bible au féminin » les a présentées. Si l’amour de Dieu est évoqué avec des images féminines-maternelles, l’image forte est celle du Dieu-Époux. Ainsi, quand nous rencontrons du féminin dans la Bible, demandons-nous si nous ne pouvons lire, comprendre et méditer notre histoire personnelle, même les masculins parmi nous.
Pierre Hoffmann
Curé de la Paroisse St.Léger à St.Germain-en-Laye,
Administrateur de la CMR