(Discours prononcé en séance plénière par le rabbin David Rosen, directeur de l’Anti Defamation League, à la 7ème Assemblée mondiale de WCRP le 25 novembre 1999)
Une des discussions les plus connues et les plus fascinantes entre les anciens sages du Judaïsme à l’époque mishnaïque, il y a deux mille ans, se rapporte précisément au thème de cette Assemblée. Il s’agissait de savoir quel est le principe biblique le plus important pour faire face au défi de la vie en commun.
Le Rabbin Akira soutenait que le principe le plus important est celui qui est inscrit dans la Bible au chapitre 19, verset 18, du Lévitique : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.”
Son collègue Ben Azai n’était pas d’accord : “Il y a un principe encore plus grand, déclare-t-il, qui peut mieux faire face au défi de la vie en commun dans notre monde. C’est le principe formulé dans la Genèse d’après lequel chaque personne est créée à l’image de Dieu.
Quelqu’un pourrait comprendre “Aime ton prochain comme toi-même” comme signifiant qu’il faut le traiter comme on est traité par lui ; il dirait : “comme j’ai été maudit et méprisé, que mon prochain soit de même maudit et méprisé.”
C’est pourquoi il est essentiel de souligner que quelle que soit la conduite de l’autre, quelle que soit la souffrance qu’on ait pu éprouver de son fait, on ne doit jamais perdre de vue que tout être humain, sans considération de race, de couleur, de croyance ou de sexe, est d’une valeur divine transcendante inestimable.
En conséquence, nous devons nous conduire avec respect pour la vie et la dignité de chaque personne, qu’elle se conduise ou non correctement, et sans égard à l’amertume de notre propre expérience.
En conclusion de ce texte rabbinique, le Rabbin Tanhuma ajoutait que si tu bases ta conduite morale sur ton expérience subjective, si tu dis : “puisque j’ai été méprisé, que m’importe qu’un autre soit méprisé,” sache qui est celui que tu méprises, car l’être humain est créé à l’image de Dieu, de sorte que dédaigner une autre personne, c’est dédaigner Dieu lui-même.
Ben Azai met le doigt sur ce qui peut nous dissuader d’adopter un plan de vie en commun. C’est la souffrance causée par des expériences négatives du passé et la crainte qu’elle suscite d’un rejet par l’autre. (…)
Le défi de la vie en commun est précisément la capacité de surmonter notre sentiment de souffrance et d’aliénation, de sorte que l’autre nous apparaisse comme un enfant de Dieu, un frère ou une sœur, indépendamment des différences que nous constatons entre nous et qui font la beauté de la diversité humaine.
Le fait est, cependant, que l’immense majorité des membres de nos communautés religieuses sont enfermés dans le sentiment historique et même contemporain (…) qu’ils sont victimes de quelqu’un, qu’ils ne sont pas réellement acceptés et respectés par l’autre.
Le défi à relever par les leaders religieux, à la veille du nouveau millénaire, n’est pas de nier l’existence de ces sentiments d’offense et de souffrance, mais de montrer qu’on peut les transcender ; c’est d’offrir un exemple de réconciliation et de coopération conforme aux valeurs les plus sublimes auxquelles adhèrent nos différentes traditions.
(…)
Se conduire de façon globalement attentive et responsable ne résulte pas seulement de la reconnaissance du Divin dans le monde, de la valeur transcendante de la vie et de la dignité d’autrui ; c’est aussi l’expression même du Divin en nous. C’est le sens du Divin en nous et en les autres qui peut nous rendre capables de surmonter la souffrance et l’aliénation par quoi nous sommes isolés.
La WCRP, comme organisation, et cette Assemblée historique nous fournissent à cet égard une inspiration merveilleuse pour élaborer à l’échelle du monde entier un programme pratique de responsabilité partagée qui nous aidera à réaliser ce que la tradition mystique juive appelle “réparer le monde” et à faire advenir ce que certaines de nos traditions désignent comme “le Royaume des Cieux sur la Terre”.