Voeux du Président de la CMRP, M. Ghaleb Bencheikh.
Vœux de paix
Croire enfin que du fin fond du désordre pourra éclore l’harmonie !
Le premier jour du nouvel an hégirien vient d’être fêté par l’islam, à peine une dizaine de jours après celui qui inaugure la nouvelle année de l’ère commune, les lois de la mécanique céleste ayant mis en phase les débuts de l’année lunaire et de l’année solaire. Souhaitons que cette jonction des calendriers soit l’occasion, pour les hommes et les femmes de bonne volonté, notamment légataires de l’enseignement abrahamique, de ne pas abdiquer devant le rocher de Sisyphe que semble être la paix: nous avons beau nous la souhaiter mutuellement et annuellement, nous ne la voyons pas, et quoi que nous en fassions, son horizon s’échappe à mesure que nous croyons en approcher.
Mais une ère de paix peut-elle jamais advenir sans un substrat de justice? L’homme est réputé ontologiquement agressif, se laissant guider dans la plupart des situations par des sentiments d’arrogance et d’hégémonie pour courir après le pouvoir et assouvir tous ses désirs. Or, l’homme est tyrannique certes, mais peureux, petit et faible, peccamineux, enclin à la maladie et goûtant inéluctablement à la mort. Attendant son heure, il survit, mène sa vie ici-bas telle une grande pâque traversée cahin-caha, et la paix s’en déduit comme institution d’un état d’exception permanent. Un état d’hybridation monstrueuse de l’hostilité et de l’apaisement fluctuant autour de la ligne du tolérable.
Quelle place reste-t-il alors au pacifisme pour incarner l’espoir d’un projet viable et sérieux de concorde et de compréhension entre les êtres? A priori aucune. Il n’y a plutôt qu’à compatir à la détresse de l’homme pacifique dans sa solitude, raillé par des cyniques réalistes qui n’ont qu’à lui montrer chaque jour le spectacle affligeant d’une barbarie érigée en système. Un système imposé par les oppresseurs et « pratiqué » par les opprimés.
Alors, y a-t-il une réponse qui soit une norme professée partout, une attitude qui fasse sens pour tous ? Non… si ce n’est avouer humblement que l’homme n’a pas su relever le défi de la paix et la fraternité universelles, et reconnaître qu’il n’est pas encore arrivé là où toutes les utopies voudraient qu’il fût. Est-ce à dire qu’il court à sa perte ? Oui, sauf s’il sait s’enjoindre à la patience et à la persévérance. C’est ce que nos références scripturaires ne cessent de nous enseigner. Il nous faut arrêter la complainte, nous arracher aux étreintes du sort, oser un début de rencontre, tenter de dépasser la haine et esquisser une ébauche de dialogue sincère et exigeant. Croire, surtout, qu’un cœur dévoré par la rancœur ou meurtri par l’horreur pourra un jour guérir et se révéler à la vie… Croire enfin que du fin fond du désordre pourra éclore l’harmonie !
Approchons-nous de cela, fût-ce asymptotiquement, en ces débuts d’années 2008 et 1429 H, sans naïveté ni pessimisme. En conjuguant humblement et sereinement nos efforts pour l’avènement de l’ère promise de paix, promise par la Paix, l’autre nom de Dieu.
Ghaleb Bencheikh
publié dans le journal La Croix du 13/1/08