L’Eglise orthodoxe russe
discute la conception occidentale des droits de l’homme
Par Vladimir Simonov, RIA Novosti
Les valeurs libérales que l’Occident impose au monde entier comme modèle universel sont erronées, car elles ignorent la notion de morale; les libertés et droits séparés de leur contexte moral banalisent la xénophobie, poussent l’homme à offenser les sentiments religieux d’autrui et à commettre d’autres péchés; la conception occidentale confond droits de l’homme et laxisme. Telle est la conclusion des participants au Concile mondial du peuple russe, un forum de référence regroupant dignitaires de l’Eglise orthodoxe russe, hauts fonctionnaires, parlementaires et militants des droits de l’homme qui a tenu ses assises à Moscou. Le Concile a adopté une « Déclaration des droits et de la dignité de l’Homme » qui remet en cause les valeurs libérales occidentales importées par la Russie et propose son interprétation des droits de l’homme dans la société russe.
Dans son discours, le métropolite Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad a vivement critiqué le libéralisme occidental qu’il a accusé de « diluer la frontière entre le Bien et le Mal ». « L’individu peut donc se réaliser n’importe comment à la seule condition qu’il ne touche pas à la liberté d’autrui », s’insurgeait le premier théoricien du patriarcat de Moscou en faisant allusion à l’interprétation traditionnelle de la démocratie occidentale. « En d’autres termes, s’il faut nécessairement respecter les lois juridiques, il n’en va pas de même des impératifs moraux ».
Selon le métropolite, les frappes aériennes lancées contre les églises chrétiennes du Kosovo qui n’ont pas indigné les Occidentaux, le scandale des caricatures du prophète Mahomet ou encore l’histoire de ce pasteur suédois emprisonné pour avoir fustigé l’homosexualité sont autant d’exemples du mépris des normes morales dissimulé derrière les discours sur la protection des droits de l’homme.
La déclaration adoptée par le forum qui s’ajoute à une série d’événements témoignant de l’influence croissante de l’Eglise orthodoxe russe pourrait passer inaperçue, n’était la circonstance suivante: la révision de la conception libérale occidentale des droits et libertés de l’individu se déroule en Russie à l’époque même où le monde orthodoxe s’intègre activement dans l’espace européen. Beaucoup de pays orthodoxes ont adhéré ou s’apprêtent à adhérer à l’Union européenne.
Quant à la Russie, cette perspective n’est pas pour demain. Mais il est évident aujourd’hui que le pays est en train de s’intégrer dans l’espace juridique européen et que la législation russe est de plus en plus orientée sur les normes ouest-européennes. De surcroît, que cela plaise ou non, la Russie fait partie intégrante de l’Europe géographique, historique et culturelle. Cependant, l’Eglise orthodoxe et les élites de la société russe refusent de suivre aveuglément les stéréotypes idéologiques occidentaux et de tomber dans la passivité, mais souhaitent que la notion de droits de l’homme sorte du cadre juridique abstrait et s’inscrive dans un cadre moral. Concept qui semble acquérir un sérieux retentissement international, d’autant plus que nombre de responsables politiques influents souscrivent aux idées avancées par l’Eglise orthodoxe.
Les tentatives musclées pour imposer les valeurs de la société occidentale en tant que modèle universel et créer une communauté supranationale centralisée ont des effets destructeurs, a notamment estimé Lioubov Sliska, première vice-présidente de la Douma (chambre basse du parlement russe), en pointant du doigt, sans les nommer, les événements alarmants des dernières années comme la guerre en Irak, la radicalisation du Proche-Orient et l’aggravation de ce qu’on appelle aujourd’hui le « conflit des civilisations ».
Vus de Moscou, les idéologues du libéralisme cherchent non seulement à persuader l’opinion publique qu’un affrontement entre l’Occident chrétien et l’Orient islamique est inévitable, mais aussi à impliquer la Russie dans cette confrontation. « On tente de pousser notre pays à se ranger du côté de la civilisation occidentale en prévision d’un conflit – inéluctable, comme ils disent, – avec la civilisation islamique, a mis en garde dans son discours le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. J’y vois une menace non seulement aux intérêts vitaux de la Russie sur le plan international, mais aussi à son développement interne en tant que pays multiethnique et multiconfessionnel ».
Les participants au Concile de Moscou ont essayé de remettre en cause les raisons de phénomènes largement cohérents comme la violence dans les banlieues européennes peuplées par des immigrés, la vague de protestations musulmanes contre les caricatures du prophète publiées dans la presse occidentale ou encore la montée du terrorisme international. L’Occident semble vouloir inscrire toute la diversité du monde dans sa formule de démocratie, conçue artificiellement dans le contexte philosophique ouest-européen, sans la participation réelle de musulmans, de juifs, d’hindous, de chrétiens orthodoxes et même de catholiques.
La majorité absolue de la population mondiale, porteuse de vieilles cultures, fut à l’écart de l’élaboration de ce système de valeurs qu’on impose aujourd’hui par la force en tant que norme universelle. Faut-il donc s’indigner qu’un individu religieux et élevé dans la négation du péché sacrifie sa vie et celles de ses proches pour résister à cette offensive agressive du libéralisme occidental?
Ces idées inspirées par les débats et les textes du Concile mondial du peuple russe de Moscou sont, bien entendu, controversées. Mais elles méritent d’être largement rendues publiques. Le monde est entré dans l’ère de la mondialisation, et nous devons nous mettre d’accord sur les valeurs fondamentales communes. Sinon il est impossible de vivre dans un même espace civilisationnel.