Le dialogue interreligieux pour moi ?

Le dialogue interreligieux pour moi ?


Soyons pragmatiques : acceptons d’avouer la difficulté du dialogue interreligieux rigoureux ! Comprendre l’autre dans sa cohérence de pensée, le ressaisir sans cesse dans la totalité de sa logique spirituelle, découvrir le ‘génie’ de sa tradition, refuser de situer dans l’anecdotique la charpente de sa confession de foi, voilà qui n’a rien d’une promenade de santé… Et pourtant, vouloir découvrir ce qui est essentiel chez autrui ne peut que suspendre le jugement, les préjugés immédiats, la réduction à ce que je vois et imagine… Mais exploration et interprétation de la différence ne sont-elles pas un moteur éducatif reconnu ?

Un tel dialogue exclut toute attitude totalitaire pour proposer d’entrer en démarche de parité, sinon d’égalité. Accepter que la foi d’autrui le structure tout autant que moi la mienne. Devenir partenaires de ce vigoureux renvoi à nos propres valeurs : beaucoup de croyants ne peuvent accepter cela, chacun confondant ce qui porte et fonde sa spiritualité avec une vérité soit disant supérieure. Il ne s’agit pourtant pas d’adhérer à la foi de l’autre, mais de donner place à sa religion sur l’échiquier mondial et d’accepter de n’avoir le monopole ni de la vérité, ni du bon, ni du bien, ni de l’action. Pour Ricoeur…  »la compréhension est toujours, de droit, en chantier »

Toute religion vécue est toujours liée à une culture, une histoire, des choix, finalement à un ‘manque’. Et c’est bien ainsi, mais comment cela ne laisserait-il pas de place à d’autres cultures, d’autres histoires, d’autres choix ? Ce travail d’exploration sur soi, ferme sur l’essentiel et souple dans les formes, demeure la partie la plus difficile qui réclame l’abandon volontaire de toute violence de langage, qu’il soit ‘vindicatif’, ‘combattant’ ou ‘ancien combattant’. Ce n’est pas un combat, mais une recherche.

Pouvoir reconnaître les différences comme des enjeux forts, des sources de communication fructueuse, fait surgir au grand jour ce qui n’appartient qu’à l’autre. Chacun peut y découvrir des richesses inconnues. Chacun peut accepter que la recherche religieuse d’autrui soit aussi essentielle que la sienne propre, même s’il ne peut encore comprendre qu’elle soit aussi fructueuse que l’autre le laisse entendre.

Cela ne m’empêche pas de ressentir que l’autre, parfois, peut avoir tort selon mes critères. A moi d’accepter que lui en vive, à l’autre de ne pas vouloir m’obliger à un accord formel. Une telle marche de conjonction n’efface jamais le nécessaire recul critique, y compris sur soi. Mais par là même s’ouvre ici un épanouissement réciproque : appel à travailler, à dépasser les sentiers battus par le respect interrogatif et l’attente critique du regard d’autrui. Répétons-le, nous n’avons jamais à juger de la validité de sa vie spirituelle pour lui-même, mais à accepter la réalité, la profondeur et, avec le temps, à en saisir des linéaments essentiels.

Reconnaître que des qualités spirituelles existent aussi en dehors de ma propre religion, rechercher ensemble du sens plutôt que de la vérité, accepter d’être vivement renvoyé en son propre espace de vérification, réclame de chacun quelques qualités morales évidentes et beaucoup de patience envers soi-même…  »La foi n’est pas un cri, mais une intelligence » pour citer encore Ricoeur.

Ce que nous échangeons peut être vrai, profond et riche même si nous ne savons pas en dire le rapport à la vérité, accordés sur le fait que la quête commune demeure toujours aléatoire, relative et lente, comme un petit chemin possible de dialogue.

Une telle tension tenue et reconnue ainsi ensemble demeure plus fructueuse qu’il n’y paraît,  »quasi-communion » du dialogue véritable. C’est déjà beaucoup.

Octobre 2005, Jacky ARGAUD

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