Les enjeux de la laïcité aujourd’hui.
Par Nicole Vernet. Vice-présidente de Religions pour la Paix-France.
Les enjeux de la laïcité aujourd’hui
La promulgation, le 9 décembre 1905, de la Loi de séparation des Églises et de l’État, dans un contexte très conflictuel entre les cléricaux et les laïques a ouvert enfin un cadre pour l’expression des religions et les situent par rapport à l’État.
Même si de nos jours certains s’interrogent sur la pertinence de ces principes et sur la manière dont ils ont été mis en œuvre, il n’en demeure pas moins qu’ils sont essentiels.
Dans notre société, trop souvent divisée et inquiète pour son avenir, la laïcité constitue un élément décisif pour vivre ensemble et, au-delà, pour « faire ensemble ». L’histoire de France a montré combien notre laïcité avait finalement permis l’apaisement dans un pays qui a particulièrement souffert des guerres de religions. Mais la laïcité ne peut permettre le vivre ensemble que si elle est bien comprise et appréhendée. Dans le cas contraire, loin de rassembler, sa mauvaise interprétation ou sa mauvaise application peut conduire à la division, ou pire à l’exclusion.
Rappelons-le, la laïcité repose sur plusieurs principes : la liberté de conscience, la séparation des pouvoirs politique et religieux, et l’égalité de tous devant la loi quelle que soit leur croyance ou leur conviction. Elle garantit à tous la liberté de croire ou de ne pas croire et la possibilité de l’exprimer, dans les limites de l’ordre public. Elle suppose également la séparation de l’État et des organisations religieuses, de laquelle se déduit la neutralité de l’État, des collectivités et des services publics, non de ses usagers. La République laïque assure ainsi l’égalité des citoyens face au service public, quelles que soient leurs convictions ou croyances.
La France est profondément attachée à ses principes républicains. Mais, en période de crise, il y a des replis sur soi et sur des valeurs traditionnelles, des pratiques religieuses parfois réinventées, et des pressions communautaristes voire des provocations contre la République – souvent plus médiatisées qu’auparavant –, en particulier dans des quartiers trop longtemps laissés à l’écart, où le sentiment de relégation sociale est très fort.
En parallèle, il y a une forte crispation autour de la visibilité religieuse et de toute expression religieuse, essentiellement dans l’hexagone où la diversité est plus faible que dans les Territoires d’Outre-mer. Il y a donc une tension, et les conflits internationaux ainsi que la situation économique et sociale n’y sont pas étrangers. Nous touchons ici plusieurs difficultés qui, en réalité, ne sont pas directement liées à la laïcité.
On le sait, la laïcité est trop souvent utilisée pour répondre à tous les maux de la société. Elle est trop souvent utilisée comme un concept « fourre-tout » pour définir des situations qui relèvent bien souvent d’une multitude de champs, tels que les politiques publiques, la situation sociale, la lutte contre les discriminations, la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme, ou encore l’intégration. Si ces sujets ne sont pas directement liés à la laïcité, en revanche, l’effectivité de la laïcité suppose la lutte constante contre toutes les inégalités et discriminations, qu’elles soient urbaines, sociales, scolaires, de genre ou ethniques.
C’est pourquoi, et c’est un défi majeur dans une société traversée de tensions et de peurs, pour tout sujet lié à ce principe fondamental, nous devons collectivement apporter de manière pédagogique les éléments nécessaires au débat. Cette mission incombe entre autres à « Religions pour la Paix France », d’autant plus que les médias ne le font guère, ayant trop souvent tendance à alimenter les confusions et les amalgames, et ainsi le ressentiment d’une partie de la population.
Dans le cadre de cette nécessaire pédagogie de la laïcité, « Religions pour la Paix France » a organisé plusieurs conférence très riches dont nous trouvons les enregistrements sur notre site animé par notre amie Denise que nous remercions vivement (plusieurs visioconférences : 25 mai 2021 – 8 novembre – 8 décembre avec Patrick Weil). Rappelons aussi la production intellectuelle abondante d’articles et d’écrits divers, ainsi que les nombreux ouvrages qui paraissent sur l’histoire, les fondements, la pratique et les perspectives de la laïcité en France ? La liste en sera longue. Elle illustre parfaitement toute la richesse et la profondeur de notre expérience française de la laïcité.
Nous voulons rester pratiques et répondre à des problématiques de terrain, très concrètes, en lien avec le fait religieux et la laïcité.
On le constate, bien des acteurs de terrain se sentent « mal outillés », navigant ainsi entre deux positions incompatibles avec la laïcité : tout autoriser (et favoriser ainsi les particularismes) ou tout interdire (et générer de nouvelles discriminations). Le juste équilibre, ce n’est pas de répondre à un intérêt particulier mais toujours d’offrir une réponse d’intérêt général, dans le cadre des limites posées par la loi.
Il faut savoir garder la tête froide. Il faut appliquer le droit, avec fermeté mais également avec discernement. Mais il ne faut surtout pas transformer la laïcité en une série de nouveaux interdits. Cela serait contraire à l’esprit libéral qui guidait les « pères fondateurs » de la laïcité, et ne pourrait qu’alimenter un discours victimaire et, par voie de conséquence, les provocations et les extrémismes religieux et politiques.
Plus largement, au-delà des réponses pratiques à rappeler, la promotion de la laïcité et du vivre ensemble passe par des mesures culturelles, éducatives et sociales. Je pense notamment au développement de l’enseignement laïque des faits religieux ; à la mise en place effective de l’enseignement moral et civique ; et bien sûr, pour notamment éviter toute mésinterprétation, à la multiplication des formations à la laïcité partout sur le territoire pour tous les acteurs de terrain dont nous sommes.
Il apparaît également nécessaire d’assurer, au sein des programmes scolaires et des politiques culturelles, la prise en compte de toutes les cultures présentes sur le territoire de la République. Cette question de l’intégration dans le récit national des jeunes Français d’origine, notamment, les Territoires d’Outre-mer, maghrébine, subsaharienne ou asiatique, est essentielle et participe à l’appartenance à la République. De fait, toutes ces cultures et cette diversité qui ont permis de construire une histoire commune et qui ont façonné la France ne sont pas suffisamment traitées. Notre pays est encore présent sur les cinq continents et son histoire est empreinte de cultures créoles, africaines, asiatiques et de bien d’autres.
Il faut comprendre la laïcité comme la clé de la construction de la citoyenneté qui fait de chacune et de chacun d’entre nous, au-delà de nos appartenances ou de nos origines, des citoyennes et des citoyens à égalité de droits et de devoirs. La laïcité nous permet d’aller au-delà de nos différences, de les dépasser tout en les respectant et, même, en en faisant une richesse.
Notre laïcité garantit la liberté de croire ou de ne pas croire et la possibilité de l’exprimer dans les limites de la liberté d’autrui. C’est une incroyable avancée lorsque l’on pense aux nombreux États dans le monde où l’on ne peut pas avoir certaines croyances, changer de religion, ne pas croire ou être agnostique.
L’année passée a été marquée par un renouveau et un durcissement jamais égalé du débat sur les questions liées à la définition et la place à donner à la laïcité et aux valeurs républicaines, dans nos institutions comme dans l’espace public. Le traumatisme associé à l’assassinat de Samuel Paty, le 16„octobre 2020, la persistance mortifère du terrorisme à motivation islamiste et le défi posé à certains de l’intégration des populations de culture musulmane dans le concert d’une nation unifiée ont encouragé le gouvernement à préciser sa doctrine en la matière. À côté d’un projet de type sécuritaire, la loi pour la sécurité globale, il a été imaginé par nos responsables de proposer une loi plus spécifiquement axée sur ces sujets brûlants liés à la définition de la citoyenneté et du vivre ensemble dans une société plurielle.
La laïcité n’est pas séparable des valeurs fondamentales que nous partageons, en particulier de la dignité et du respect de la personne humaine et de sa liberté inaliénable. Ces valeurs ne peuvent s’épanouir que dans la confiance mutuelle source de paix pour notre société.
Nicole VERNET
Administrateur CMRP-France
Commission Laïcité
AG du 6 mars 2022