Un vrai dialogue interreligieux est-il possible ?

Extrait de la Conférence du 25 mai 2021.
Un vrai dialogue interreligieux est-il possible ?

par Henri FOUCARD, administrateur de CMRP-France

Henri fait partie du Groupe Interreligieux pour la Paix du département des Yvelines (GIP78) qui est l’émanation locale de la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix, la CMRP. A ce titre Henri a été délégué par le GIP78 pour participer au Conseil d’Administration de la section française de la CMRP.

Les termes utilisés
Henri commence par reprendre les mots du titre de son intervention : « Un vrai dialogue interreligieux est-il possible ? »

D’abord le mot dialogue. On peut parler d’une culture du dialogue et de la rencontre. Une citation du pape François « La vie est l’art de la rencontre même s’il y a tant de désaccords dans la vie »1…..

Clairement un être humain passe sa vie à s’enrichir du dialogue avec les autres, en intégrant ce qu’il reçoit à sa façon. Ce dialogue permet d’acquérir des convictions fortes. Au contraire le refus du dialogue, la crispation identitaire, sont le signe que nous ne nous percevons pas assez forts pour aborder en confiance l’accueil et le dialogue avec l’autre et accepter les changements qui en résulteront pour nous et pour lui.

Le refus du dialogue, basé sur un sentiment de précarité amplifié par la mondialisation, sur lequel prospèrent les populismes d’extrême droite, les communautarismes et les intégristes religieux, ce refus du dialogue est en fait une aliénation, c’est l’enfermement du « tous et toujours pareils » !

Ensuite le mot interreligieux. Cela veut dire entre les religions, entre les personnes et les communautés qui professent une religion. Qu’apporte de plus la religion au dialogue essentiel à tout être humain. Je pense que c’est la façon dont l’autre est considéré. Au moins au niveau de sa sensibilité chrétienne, Henri a appris à voir le visage de Dieu au fond du cœur de chaque être humain qu’il rencontre. Cela implique de lui permettre d’exister devant soi, de le respecter, de reconnaître qu’il est unique avec sa richesse propre.

Henri en vient au dernier terme de ce titre, ce dialogue peut-il être vrai ?

Avec le mot dialogue interreligieux, on voit venir le prédicateur qui veut en final vous convaincre, ce qu’on appelle le prosélytisme. L’Église chrétienne demande d’ailleurs d’annoncer l’Évangile à toutes les nations. Peut-on avoir un vrai dialogue sans arrière-pensée dans cette situation ? En fait chacun peut témoigner de ce qui le fait vivre sans chercher absolument à convaincre, ce n’est pas sur le même plan !

On peut aussi donner un sens au pluralisme religieux. Henri aime bien la phrase du moine Christian de Chergé « « Montrons que nos religions ne doivent pas s’opposer, mais qu’elles sont une perle magnifique reliée à d’autres par le fil divin. Toutes diffèrent apparemment, mais contribuent chacune à rehausser l’éclat incomparable du collier que Dieu a donné à l’humanité.1 »

Les différents aspects du dialogue

On peut distinguer plusieurs aspects dans ce dialogue, et voir comment l’améliorer dans chacun de ces aspects : le dialogue de la vie courante, le dialogue dans l’action ensemble, le dialogue théologique, le dialogue de l’expérience spirituelle. Ces aspects sont facilement mêlés dans les rencontres que nous faisons, mais Henri va les reprendre séparément.

1) Le dialogue de la vie courante, c’est le dialogue des personnes qui se côtoient au travail, entre voisins, dans les loisirs, dans la famille.

Il arrive que ce dialogue porte sur des éléments associés à la religion : les rites, les obligations alimentaires ou autres, la dimension communautaire, la culture.
Certes ces éléments sont importants : culture et religion, qui se sont fécondés mutuellement au cours des siècles, visent à éviter la violence, à équilibrer les relations, à stabiliser la famille. Attention cependant à ne pas trop s’appesantir sur ces éléments qui ne sont pas l’essence spirituelle de la religion.

D’autre part ce dialogue de la vie courante existe grâce à la mixité sociale et religieuse et aussi à la laïcité bien comprise. Nous ne pouvons qu’encourager les pouvoirs publics à favoriser cette mixité. C’est d’ailleurs un phénomène cumulatif : la mixité religieuse dans les établissements d’enseignements et au travail entraîne une mixité religieuse dans des couples qui se forment, donc le dialogue de vie dans les familles.

2) Le dialogue dans l’action ensemble, par exemple dans des actions communes humanitaires.

Il ne s’agit pas seulement du « faire ensemble » (alliance des religions pour un monde plus solidaire), mais de fonder le dialogue sur le commandement de sa propre foi. C’est d’ailleurs une introduction au dialogue théologique !

3) Le dialogue des échanges théologiques,
Pour entrer dans ce dialogue théologique il faut savoir donner un sens au pluralisme religieux, respecter la foi des autres sans pour autant considérer que toutes les religions se valent, ce qui relativise sa foi au lieu de l’enrichir.

Chaque religion offre des ressources spirituelles à celui qui cherche Dieu, et bien sûr la foi et la raison sont toutes deux nécessaires pour chercher la vérité. Ensuite on doit quand même identifier les dérives sectaires où tous les critères d’une religion ne sont pas satisfaits. Une religion se doit de respecter la vie humaine, encourager la solidarité, permettre à ses adeptes de se réconcilier avec eux-mêmes, ne pas refuser que le monde se transforme.

Dans ce dialogue théologique il y a des possibilités de rapprochements à travers l’expression différente d’une même réalité dans une autre religion et aussi d’approfondissements sur des thèmes majeurs comme le mal, le péché, la toute puissance de Dieu …

La confrontation de vérités différentes peut souvent amener à découvrir une vérité plus profonde que celle dont chacun prétendait avoir le monopole au départ. Il reste que la vision immédiate de la Vérité n’est donnée qu’à celui qui la contemple en Dieu : c’est une vision pour la vie dans l’au-delà.

4) Le dialogue de l’expérience religieuse

Chacun s’efforce, dans la fidélité à sa propre vérité, de célébrer une vérité qui déborde non seulement les limites mais les incompatibilités de chaque tradition religieuse.

Ce faisant on se rapproche des autres en même temps que de Dieu. Henri aime bien l’image de la pyramide, avec Dieu en haut, jamais vraiment accessible sur cette terre. Chacun, dans son propre itinéraire spirituel, monte sur une face de la pyramide, se rapprochant de Dieu et en même temps des autres. En final, on se retrouvera tous au paradis !

Apports du dialogue interreligieux

Henri détaille ensuite quels sont pour lui les apports de ce dialogue interreligieux.

Il y a l’apport individuel de la conversion réciproque : redécouvrir avec des yeux neufs sa propre identité en étant provoqué par les éléments de vérité dont témoignent les autres religions.

Mais il y a aussi un bénéfice pour la société dans son ensemble en replaçant correctement Dieu dans ce monde.

– 1. Reconnaître que Dieu se révèle à travers l’histoire humaine. Il faut positiver la modernité, reconnaître ses acquis, matérialisés en particulier par la déclaration universelle des droits de l’homme : égalité de l’homme et de la femme, prix inviolable de la vie humaine quelle que soit la promesse d’une vie éternelle, liberté de conscience, liberté religieuse, libre consentement au mariage, droit à un mieux-être matériel, indépendance réciproque de l’État et des institutions religieuses.

– 2. Donner de l’espace à Dieu miséricordieux. Ne pas laisser l’homme s’enfermer dans une culpabilité morbide par rapport au péché collectif que représente la participation aux injustices sociales, à la dégradation de l’environnement, etc., et permettre au contraire à l’homme de regarder sa faute en face dans la confiance en Dieu.

– 3. Nous avons besoin d’une espérance de type religieux face aux idolâtries d’aujourd’hui  (l’argent, le pouvoir, le sexe, le sport, les vacances …) quand des gens y cherchent la satisfaction de leur quête existentielle, et faute d’une représentation claire du progrès.

Tenant du dialogue interreligieux (au moins dans le cadre des religions abrahamiques qu’il connaît mieux), Henri est persuadé que l’humanisme islamo-judéo-chrétien apporte une vision de l’homme et du « vivre-avec » qui est une contre-culture par rapport à l’impérialisme culturel de la consommation. Et sur ce sujet, nous pouvons motiver aussi les agnostiques et les athées dans le cadre d’un dialogue inter-convictionnel !

Mise en pratique locale du dialogue au GIP78

Après ces considérations théoriques, Henri fait part de la modeste mise en pratique locale du dialogue dans les Yvelines, au GIP78.

Pour le GIP78 « vivre ensemble dans la cité » suppose deux actions :

• la première est de connaître, de façon juste, sans a priori, l’histoire et le contenu des religions et des cultures de ces autres groupes humains qui vivent à côté de nous ; c’est la découverte des religions et des cultures ;

• la deuxièmes action est de rencontrer des visages, des personnes, parmi ces « autres », nouer des liens d’estime avec tel ou tel parmi eux ; c’est la rencontre des personnes.

Il ne s’agit pas forcement d’étapes successives ; la rencontre entre des personnes conduit souvent à la curiosité et à la découverte de sa religion et sa culture. En tous cas, on peut considérer que l’une (la rencontre) est sans doute plus importante que l’autre (la découverte) : la connaissance mutuelle et l’estime réciproque, entre un juif, un chrétien, un musulman, feront davantage pour la paix que la seule découverte intellectuelle de la religion et de la culture de l’autre.

• On parvient alors à un troisième degré : apprendre qu’au delà des différences, il existe des valeurs communes qui nous rassemblent et nous conduisent à nous engager ensemble pour les promouvoir ; c’est l’engagement en commun.

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