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Publié le Déc 29, 2004 - 11:57 PM
Religions et Laïcité

Le rapport entre l’Etat et les différents cultes
23 novembre 2004
Groupe interreligieux pour la Paix
Salle Sainte-Marie - Versailles





Intervention de Monsieur Vianney SEVAISTRE
Chef du bureau central des cultes de septembre 2001 à mars 2004
Conseiller technique chargé des affaires cultuelles au cabinet du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales (Nicolas SARKOZY du 20 juin 2002 au 31 mars 2004 ; puis de Dominique de VILLEPIN du 31 mars au 1er novembre 2004)



Introduction
J’ai quitté récemment mes fonctions. Je ne peux donc parler qu’en mon nom propre, sans engager le gouvernement.
Dans mon exposé,
1) je rappellerai des éléments de droit qui définissent les relations entre l’Etat et les cultes.
2) Je donnerai quelques points sur les difficultés telles que je les perçois pour les principales religions de notre pays.
3) J’expliquerai les raisons pour lesquelles plusieurs gouvernements successifs, de droite comme de gauche, se sont profondément engagés pour favoriser la création d’une instance représentative du culte musulman.
4) Je vous laisserai le soin de conclure en me posant des questions.

J’essaierai de ne pas tenir de langue de bois et si jamais vous estimez que je tiens un tel discours, je vous serais reconnaissant de me poser des questions sur les points litigieux.


1. Préambule : l’état du droit

La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat est en général mal connue. Elle permet de définir le contenu de la laïcité à la française, sans en donner de donner de définition.

Trois points clés de la laïcité sont donnés dans les premiers articles de la loi de 1905 et contrarient des idées reçues :
- Article 1er : La République garantit le libre exercice des cultes.
- Article 2 : La République ne reconnaît aucun culte, ne subventionne aucun culte. C’est ce qu’on retient le plus souvent de la loi de 1905.
- Article 4 : La République est respectueuse de l’organisation interne de chaque culte.

Ces trois articles appellent quelques commentaires :

La religion n’est pas cantonnée dans la sphère privée. En effet, si la république garantit le libre exercice des cultes, c’est bien parce que la religion n’est pas cantonnée dans la sphère privée. Vous n’êtes pas tenus de ne pratiquer qu’à domicile ou dans vos seuls édifices du culte.
Les limites de la pratique religieuses sont fixées par deux espèces de bornes :
- L’ordre public : la jurisprudence et la loi ont précisé cela en 100 ans.
- Le fric : les subventions publiques sont interdites, cependant des exonérations d’impôts sont autorisés pour les édifices du culte dans certaines conditions. Ces exonérations, qui ne sont pas des subventions publiques, traduisent clairement la volonté du législateur en 1905 : les cultes participent à l’apaisement de la société et sont utiles à la Nation.

Mais quelle différence entre le culte et la religion ?
Le mot religion appartient au vocabulaire philosophique et n’a pas de valeur juridique. Par conséquent, il n’est jamais utilisé par les représentants de l’Etat pour définir des droits et des devoirs.
Le mot culte a été défini progressivement par la jurisprudence. Le culte recouvre les notions suivantes :
- Les cérémonies religieuses ou célébrations ;
- Les édifices du culte : location, acquisition et entretien ;
- La formation religieuse et les personnes qui participent à la diffusion de cette formation.
Pour simplifier, je dirai que le culte est l’expression extérieure d’une religion.


La République ne reconnaît aucun culte, mais n’en méconnaît aucun. La République se refuse à porter un jugement sur la doctrine d’un culte, la république se limite à interdire les pratiques d’un culte qui troublent l’ordre public.
En complément, la République refuse qu’un culte vienne se mêler des affaires de l’Etat. Par exemple, l’appel au refus de payer l’impôt qui pourrait être lancé par un prédicateur à l’occasion d’une cérémonie religieuse est sanctionné par la loi.

La loi de 1905 a créé une catégorie particulière d’associations, les associations cultuelles, qui bénéficient d’avantages fiscaux particuliers si elles se consacrent exclusivement au culte, mais elles ne peuvent pas recevoir de subventions de la part des collectivités publiques.

Les dirigeants de ces associations cultuelles dialoguent avec le gouvernement et les administrations en vue de résoudre les problèmes qui sont rencontrés quotidiennement. Le dialogue est indispensable pour que l’article 1er de la loi de 1905 soit respecté. Ce dialogue est établi avec tous ceux qui le souhaitent.
J’ai travaillé ainsi avec les religions représentées par les personnes ici présentes mais aussi avec les Témoins de Jéhovah, les Moonistes ou les Scientologues. En effet, il appartient aux préfets ou aux tribunaux de décider si une association remplit les critères exigés pour bénéficier des avantages ouverts aux associations cultuelles.
J’ai été sollicité pour résoudre des problèmes internes à des associations cultuelles. Je n’ai jamais pris partie ; j’ai parfois donné des conseils mais j’ai toujours affirmé que seul le juge est compétent pour régler des litiges internes à une association.

2. Difficultés des principaux cultes avec l’Etat
Je vais maintenant évoquer quelques difficultés rencontrées par les principaux cultes avant d’aborder la question spécifique de l’islam.
Il ne m’appartient pas de parler des difficultés internes à chaque culte ni de faire de l’interreligieux. Ces travaux ne relèvent pas de la responsabilité de l’Etat. Je me limiterai à mon champ de compétence avec un exemple par culte.

Eglise catholique
Les visites des tours des cathédrales sont payantes et c’est l’Etat qui récupère les droits de visite. Selon la loi de 1905, l’entrée dans les édifices du culte est gratuite. Mais également, la visite des trésors des cathédrales est payante ; c’est l’Eglise qui récupère l’argent de la billetterie.
Un projet de loi devrait régulariser la totalité de ces recettes.
Protestantisme
La loi de finances pour 2003 interdit la rémunération des dirigeants d’une association si le chiffre d’affaires est inférieur à un seuil. Or la loi de 1905 prévoit que les associations cultuelles peuvent rémunérer leurs pasteurs.
Quelle est la loi qui s’applique ?
En fait, le MINEFI donne une dérogation au cas par cas, si elle est demandée.

Judaïsme
Un nombre significatif de digicodes ne sont pas casher. Faut-il faire payer la modification des digicodes par tous les copropriétaires si l’un d’entre eux demande la casherisation du digicode ? que faire quand il s’agit seulement d’un locataire ?
La Cour de cassation s’est penchée sur la question.


3. Les objectifs du gouvernement français avec l'Islam

A. Les objectifs techniques avant la création du CFCM

Ces objectifs sont anciens et ont été exprimés depuis les années 1980 :
- Les musulmans ne disposant pas d'instance représentative de leur culte comme les religions catholiques, protestantes ou juives, ne peuvent pas bénéficier de tous les droits ouverts par la loi. Par exemple la désignation des aumôniers, en particulier pour les prisons, n’est pas possible.
- La mise en place d’une instance représentative du culte musulman s’est heurtée à la division des musulmans. En effet si la diversité musulmane et la diversité protestante sont de même nature au moins en France, elles ont une histoire différente : la fédération protestante de France, qui regroupe environ 60 % des protestants de France, a été créée seulement en 1904 après 3 siècles de protestantisme ; les musulmans sont présents en nombre significatif sur le sol métropolitain depuis 1960, avec seulement 40 ans de présence.




B. Les objectifs politiques depuis le 11 septembre 2001

Le sentiment anti-musulman s’est renforcé en France et dans le monde entre le 11 septembre 2001 et la création du CFCM en mai 2003.
Lors du passage de Nicolas SARKOZY à 100 minutes pour convaincre, en novembre 2003, un sondage indiquait que 68 % de la population française considérait que l’islam était incompatible avec les valeurs de la République ; en mai 2004 Valeurs Actuelles publiait un sondage affirmant que 48 % de la population française avec la même opinion. Ainsi en 18 mois, 20 % de la population française a changé d’opinion sur l’islam.

Avant la création du CFCM le sentiment général est le suivant :
- la population française exprime sa crainte face aux musulmans et à l'Islam.
- les musulmans perçoivent cet amalgame entre islam et terrorisme. Pour reprendre une expression de Nicolas SARKOZY, les musulmans se sentent musulmans dans le regard de l'autre. Jean-Paul Sartre écrivait « on se sent juif dans le regard de l’autre » à propos des années sombres de l’occupation.

Nicolas SARKOZY, à la suite de ses prédécesseurs, ministres de l’intérieur, JOXE, PASQUA, CHEVENEMENT, VAILLANT, analysait la situation de la façon suivante :
- la question de la compatibilité de l'islam avec les valeurs républicaines est absurde : comment devrait-on "gérer" les cinq millions de musulmans français ou étrangers vivants en France s'il y avait incompatibilité ? il faudrait exiler ces personnes ? vers où (en particulier ceux de nationalité française) ? il faudrait les convertir ? au nom de la liberté d’exercice du culte ? cela est insensé.
- Il est inacceptable que la population française se scinde en deux parties : les musulmans et ceux qui refusent l’islam.
- La vraie question est celle du respect de l'ordre public : la police a interpellé en quelques mois une trentaine de terroristes, dont certains dans des mosquées. Les musulmans ont le droit de vivre leur religion et de la transmettre à leurs enfants. Les musulmans ont le droit de vivre à l’abri du terrorisme musulman porté par El Qaeda.
- Cette amalgame entre islam et terrorisme provient de l'ignorance de la population française sur l'islam. L'ignorance engendre le mépris et la violence.

La perception par les musulmans de cette situation les conduit à un repli identitaire afin d'affirmer leur droit à la différence.

Que faire ? Que doit faire le monde politique ?
- ne rien faire : cela conduit au développement de l'ignorance, de la violence et du repli identitaire. Pendant 20 ans, aucune action concrète efficace, durable n’a été conduite. On en mesure les conséquences aujourd’hui en mesurant le retard à rattraper.
- favoriser la création le bon fonctionnement du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM). Il faut que les problèmes techniques auxquels les musulmans trouvent des solutions et qu'une voix unique et apaisée parle de l'islam.


4. Les mécanismes mis en place pour permettre aux musulmans de prendre la place qui leur revient.
Pourquoi le MISILL a agi et comment fonctionne le CFCM.
A. Les raisons d'agir du ministère de l'intérieur

La loi française (loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat) dispose :
- La République garantit le libre exercice des cultes. C'est à ce titre que le ministère de l'intérieur a participé de façon active à la création d'une instance représentative du culte musulman et qu’il travaille activement pour en assurer la pérennité.
- La République ne reconnaît aucun culte. C'est à ce titre que M. CHEVENEMENT a réuni au sein de la Consultation des musulmans de France en novembre 1999 les associations et personnes les plus représentatives des musulmans, en prenant en compte celles qui apparaissaient les plus et les moins dégagés du fondamentalisme. En effet il n’appartient pas de dire quel est le bon ou le mauvais islam, si l’islam de la mosquée de Paris est meilleur doctrinalement que l’islam de l’UOIF.

B. Le CFCM et les CRCM

Le CFCM est composé par le CFCM et les 25 CRCM (un par région administrative). Le CFCM est chargé de définir les orientations de principe et de dialoguer avec les pouvoirs publics au niveau ministériel. Les CRCM sont chargés d'appliquer ces principes et de dialoguer au niveau local.
Exemple : on ne discute pas à Paris des difficultés de la construction d'une mosquée dans une ville de province.
Le CFCM exerce un droit de suspension sur une décision d'un CRCM.

Le CFCM est composé de trois instances :
- une assemblée générale de 200 membres environ (3/4 élus, ¼ non élus)
- un conseil d'administration de 63 membres environ (2/3 élus et 1/3 non élus)
- un bureau élu par le conseil d'administration.

Les 25 CRCM sont composés chacun de trois instances :
- une assemblée générale composée par les délégués des lieux de culte de la région (leur nombre est proportionné à la superficie de la salle de prière)
- un conseil d'administration et un bureau élu par les délégués.

Le mode électoral est le scrutin par liste à la représentation proportionnelle au plus fort reste. Ce mode est celui qui favorise le mieux les minorités. En effet le but du CFCM et des CRCM est d'assurer le mieux possible la représentation de la diversité donc des minorités.
Ce mode permet également qu'aucune des écoles de pensée "majoritaire" (au moins relativement) puisse imposer son mode de pensée et ses décisions.


5. Les relations internationales

A. Avec les "pays d'origine"

Algérie, Maroc, Tunisie et Turquie ont été tenus informés des travaux en cours, conduits avec l'assistance du cabinet du ministre, par ce cabinet ou par le ministre.
Il a été pris en compte que ses pays comptaient de nombreux ressortissants en France. Il était donc normal que les ambassades soient informées des travaux conduits sous l’autorité du ministre de l’intérieur.
Nous n’avons pas sollicité ces pays, nous n’avons pas demandé à leurs ambassadeurs d’influer sur leurs ressortissants dans un sens ou dans un autre, nous les avons informés des buts recherchés et des modalités utilisées. Ils nous ont affirmé que nos travaux étaient compatibles et cohérents avec leurs objectifs.


B. Avec les pays occidentaux

Les ambassades de nombreux pays occidentaux ont suivi le processus. En effet la plupart des pays concernés n'ont pas encore d'instances représentatives ou en disposent, qui ne donnent pas satisfaction.

La spécificité du CFCM est qu'il a été conçu par des musulmans pour des musulmans, sans que l'Etat impose quoi que ce soit. Son fonctionnement sera donc indépendant de l'Etat même si dans ses débuts un accompagnement s'avére utile.

Conclusion en trois parties

Je cite un préfet, aujourd’hui à la retraite « supprimer un curé dans un village, c’est se contraindre à créer un poste de gendarmerie ». Je traduis : un curé ne coûte rien à l’Etat ni au contribuable ; une brigade de gendarmerie coûte les salaires des gendarmes et leurs retraites.

Je cite Nicolas SARKOZY « il faut créer des lieux de lumière dans nos banlieues [des églises, des temples, des synagogues, des mosquées] qui sont les seuls endroits dans lesquels toutes les générations se retrouvent. Je ne vois pas pourquoi on finance des stades et pas ces lieux de lumière ».

Si le XIXème siècle a été le siècle de l’industrialisation au détriment du social et du spirituel, le XXème siècle celui du social au détriment du spirituel, au XXIème siècle, le spirituel revient au galop.

Notre présence ici ce soir confirme l’intérêt que notre société attache au spirituel, soit pour le défendre, soit pour l’attaquer. Ceux qui l’attaquent se positionnent par rapport au spirituel, ce qui montre la prééminence du spirituel sur les autres besoins fondamentaux de l’homme.


 
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